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CHEMINS DE VIE
24 juillet 2015

LA NUIT DE LA DETRESSE §

Le 2 juillet 2015, les éleveurs français ont manifesté, à l’appel des syndicats d’agriculteurs. Ils dénonçaient la faiblesse des prix de vente de la viande et du lait. Ils ont appelé ça « la nuit de l’élevage en détresse ».

Mettons les choses au point : oui être éleveur est un dur métier. En terme d’heures de travail, de pénibilité, de quasi impossibilité de quitter la ferme pour d’hypothétiques vacances, c’est déjà considérable. Mais voici maintenant, depuis quelques années, que leurs revenus deviennent quasi inexistants. Les éleveurs sont proches de la faillite. Alors ils demandent à pouvoir vendre leurs produits plus chers. Logique en somme.

Les éleveurs ont identifié leurs ennemis : la grande distribution et les industries dites de transformation (bon appétit) qui font de trop grandes marges sur leur dos. Ah, et aussi la complexité des dossiers administratifs. L’excès de contrôles. Tiens, par exemple, pour tout ce qui concerne le « bien-être animal » ! Sur une banderole accrochée à un tracteur à 80 000 € on pouvait lire : « Bien-être animal : doit-on mettre nos vaches dans nos lits et nous sur la paille ??? »

Enfin une bonne question. Notons au passage qu’être sur la paille c’est la vie quotidienne des animaux et c’est péjoratif pour les humains. Pour un humain c’est pas normal de mener une vie de chien même quand il fait un temps de cochon c’est ça ? Moi je serais les éleveurs j’irais jusqu’au bout de la logique : je me plaindrais d’être traités comme des bêtes ! En voilà une expression qu’elle serait bonne ! Parce qu’elle lancerait le vrai débat.

 

On peut enfin en parler de ces bêtes, du rapport entre les hommes et les animaux ? Merci.

On a bien compris que les éleveurs ne veulent pas parler des animaux. Ce n’est pas le sujet. C’est une lutte sociale point-barre. Circulez. Vouloir parler des animaux à cet instant, c’est insulter les éleveurs, les dévaloriser ? Eh bien non. Tout au contraire, c’est juste poser le vrai sujet sur la table.

En effet, dans nos sociétés, de plus en plus de personnes s’opposent à la façon dont les animaux sont traités. Mieux, une frange grandissante remet en question le fait de manger des produits ou des sous-produits animaux.

Produits. Sous-produits… Quelles termes atroces pour des êtres vivants, capables d’émotions, aptes à ressentir la souffrance ou la joie. On ne peut plus sérieusement remettre ça en question aujourd’hui, depuis que la Science est sortie de l’ornière de l’animal-machine creusée avec conviction par un René Descartes qui a porté un sale coup aux animaux (malgré tout, être ‘cartésien’ est toujours considéré comme une qualité n’est-ce pas ?)

Ah j’en vois certains qui se disent : ça y est, le débat bifurque vers de la sensiblerie pour les animaux alors que c’est vraiment pas le sujet là ! Les hommes d’abord. L’emploi d’abord. C’est une lutte so-ci-ale.

Chers éleveurs, si vous croyez que vous luttez contre les patrons de la grande distribution que vous accusez de s’en mettre plein les poches, vous vous trompez. Au contraire, en mettant la pression pour que l’élevage perdure coûte que coûte, vous les arrangez bien. Vous êtes leur porte-voix. Vous êtes même leur caution humaniste contre toute évolution de société. Vous êtes manipulés. Évidemment vous luttez pour pouvoir continuer à faire ce que vous faites, on le comprend bien (est-ce la seule chose que vous pourriez faire ?). Enfin si on était à votre place on ferait peut-être pareil (pas sûr à 100% non plus hein).

Mais comme on n’est pas à votre place, alors on en profite pour essayer d’y voir plus clair. Résumons : au regard d’une vraie évolution de société, vous êtes main dans la main avec toute la filière pour ne pas disparaitre. Vous êtes tout à la fois les sacrifiés et les fers de lance du conservatisme le plus délétère. Vous défendez votre gagne-pain. Marrant comme expression. Moi j’aime bien le pain. Le pain quotidien comme on dit. Mais vous savez, il y a plein de gens qui ont un gagne-pain qui n’est pas un gagne-viande. Parce qu’ils ont compris que manger de la viande, surtout en de telles quantités, n’est absolument plus viable. Vous entendez, ce n’est plus possible ! Les études les plus sérieuses corroborent désormais ce constat : il faut réduire énormément nos consommations animales. Le mieux étant bien sûr de stopper. Je ne vous parle pas d’éthique hein, je sens que c’est encore un peu tôt.

C’est drôle parce que souvent quand on dit qu’il faut arrêter tout ça, on se fait traiter d’utopistes.

Avant on nous disait que c’était pas possible, parce qu’on pouvait pas se nourrir que de végétaux, parait-il. Et maintenant, on nous dit qu’un tel changement n’est pas possible, parce que… euh… ça fait trop de changement quoi… donc c’est pas possible ! À noter que ceux qui disent ça ont souvent un intérêt personnel à ce que ça ne change pas. Un intérêt financier, souvent. Mais pas seulement : il y a aussi l’attachement irrationnel au contenu de son assiette. Ça c’est une valeur, une vraie. C’est la France ici messieurs !

Cet immobilisme est dramatique. Bien sûr il ne touche pas que l’agriculture. Chacun défend sa branche. Chacun lutte pour que son travail ne disparaisse pas. Même si c’est un travail aberrant. Ou devenu aberrant. C’est le côté absurde et carrément nocif des luttes dites sociales : on défend n’importe quoi sous prétexte que ça donne du travail. On ne veut pas savoir si c’est bien ou pas, on veut du travail. Point. La porte est grande ouverte aux manipulateurs. Et à toutes les dérives.

Quant à vous autres qui n’êtes pas éleveurs, réfléchissez : êtes-vous vraiment sûr de souhaiter que l’élevage perdure ?

Êtes-vous sûrs de vouloir que 70% des terres agricoles mondiales soient dévolues à élever des animaux que seuls les habitants des pays riches peuvent manger ? Il est vrai ça concerne pas les français hein, c’est juste des amazoniens primitifs chez qui on a fait quelques clairières, faut pas exagérer quoi ! Et puis les gens qui meurent de faim parce que nos vaches mangent leur soja OGM, qu’est-ce que vous voulez, on ne peut pas s’occuper de toute la misère du monde !

Êtes-vous sûrs de vouloir continuer à faire manger autant de viande aux occidentaux (et maintenant aux chinois qui nous imitent avec une inquiétante efficacité) quitte à contribuer à l’augmentation des maladies cardiaques, des cancers et tout ce qu’on admet enfin chaque jour… et qui coûte une fortune aux systèmes de santé ?

Êtes-vous sûrs de vouloir continuer à défendre le mode de production de protéines le plus polluant, c’est à dire le plus aberrant en terme de bilan énergétique ?

Je ne vous parle toujours pas de souffrance animale hein. Non. Cette nuit, c’est la nuit de la détresse des éleveurs.

Chers éleveurs et sympathisants, votre lutte je la comprends si je me mets à votre place (sacré effort tout de même). Mais soyons sérieux, si on veut que le monde puisse juste continuer à exister, alors non je ne peux pas la cautionner. Parlons des humains : le milliard de personnes qui n’ont rien à manger et rien à boire nous rappelle quotidiennement que les protéines animales comparées aux végétales sont un gaspillage inouï qu’on ne pourra bientôt plus se permettre.

Alors finalement : qui est utopiste ? Ceux qui empêchent le système de se transformer ? Ou ceux qui veulent le changer radicalement ?

Vous éleveurs, vous luttez avec toute la filière pour conserver un système qui n’a aucun avenir. Que vous sembliez en opposition les uns avec les autres importe peu. Quant aux politiques, focalisés constitutionnellement sur le court terme, ils sont imperméables aux données accablantes qui s’accumulent. Ce qu’on aimerait nous, les réalistes, c’est que les rêveurs comme vous changent de branche avant qu’elle ne rompe sous le poids de l’obstination systémique. Pourquoi pas le maraîchage ou les céréales ? (en apprenant à se passer des produits de synthèses dont les effets secondaires, comme diraient les labos pharmaceutiques, pourraient bien être fatals). De toutes façons, même si vous n’êtes pas doués comme cultivateurs, c’est pas grave : la souffrance est la pire des pollutions.

Alors cette nuit de la détresse, eh bien permettez qu’elle soit aussi celle de la nôtre.

Oui la nôtre, nous qui nous battons sans avoir rien à y gagner. En effet, nous n’en tirons aucun avantage, pendant que vous, éleveurs, défendez exclusivement ce qui vous concerne. Ça fait quand même une sacrée différence non ? Nous sommes juste des millions de personnes scandalisées par la façon dont les animaux sont traités par les hommes. Oui depuis toujours, oui le mépris de l’animal est, dans notre culture, une tradition ! L’essor de l’industrie est venu agir comme une loupe sur cet abus séculaire. Il a rendu la condition animale encore bien plus insupportable. Mais, enlevez la loupe, il restera la vraie question : le mépris. Beaucoup commencent à comprendre que c’est une question centrale, incontournable. Et surtout urgentissime. Pour ce qui nous concerne, réalisant que ça ne s’arrêtera pas tout seul, nous avons décidé de bouger. L’engagement de chacun est presque toujours l’aboutissement d’un parcours personnel.

Et enfin, et surtout : cette nuit de révolte, permettez qu’elle soit enfin celle des animaux, dont la détresse quasi permanente est sans commune mesure avec celle dont vous vous plaignez.

Chaque année, nous autres humains faisons naître des êtres par milliards. Pour leur imposer une vie de misère. Des non-vies. Encagés, entassés sans jamais voir le jour pour la plupart. Parfois broyés vivants dès la naissance. La liste est impossible à faire ici, la place nous manquerait. Veaux à peine nés arrachés à leurs mères beuglantes, truies immobilisées entre des barreaux, des queues et des becs coupés, du stress omniprésent, privations des besoins physiologiques élémentaires, sélections génétiques qui aboutissent à des races qui ne sont manifestement pas armées pour vivre normalement , gavage aux antibiotiques…

Et aussi les mensonges sur le soit-disant « bien-être animal ». Comme ce mot est cynique. Le bien-être ! Comme si on apportait un cocktail de grains à des animaux installés sur une moelleuse litière au bord d’un lac tranquille ! Ben voyons. Prenez-nous pour des imbéciles, ne vous gênez pas.

Que ce soit de gré ou par la force de l’impossibilité de continuer de tels outrages à la vie, tous ces abus cesseront un jour. Même si, à l’évidence, le combat sera, face à toutes les inerties, à tous les conditionnements, à tous les mépris et à toutes les cupidités dénuées de conscience, long et rude.

Pour les animaux, chaque nuit est celle de la détresse.

(source :http://www.tribunal-animal.com/la-nuit-de-la-detresse/)

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Commentaires
M
Je suis tout à fait d'accord avec cet article, il dit ce que je pense depuis un bon moment.<br /> <br /> Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut rien entendre, ni de pire aveugle que celui qui ne veut rien voir.<br /> <br /> Merci du partage.
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