UNE PEUR PEUT EN CACHER UNE AUTRE...(3)
Quand
les figures parentales, supposées soutenir l’enfant, se sont
affirmées …par leur absence, quand elles ne se sont pas
contentées d’être déficientes, mais se sont
présentées en se mettant hors de portée, c’est
le supplice de Tantale et sans doute, comme le dit Winnicott, «
le pire qu’il puisse arriver au petit humain ». Faim et soif
éternelles, rien de tel pour écorcher la sensibilité
et aiguiser les frayeurs. Le caractère traumatisant minoré
d’un fait, d’une situation, le mépris d’une douleur
occasionnée, exacerbe l’émotivité et la
perception du danger. La conscience aiguë de ce qui porte
atteinte favorise la soumission. Une personnalité anxieuse,
perfectionniste, peut être une ancienne victime d’indicibles
abus qui s’appliquera à dissimuler toute erreur car il lui a
fallu, pour survivre, apprendre à nier toute « erreur
»... Atmosphère douloureuse, traitement discriminatoire
produisent ainsi des émotions interdites qui fragilisent
d’autant plus la personnalité qu’il lui faut éviter
qu’elles transparaissent et la trahissent.
Construction
imaginaire pour justifier une sensation terrible qui nous étreint
et dont nous avons hérité, certaines peurs ressuscitent
des impressions étranges qui, si elles s’additionnent,
ré-engendrent cela même qui les avait provoquées.
Une agression non reconnue développe un sentiment d’inquiétude
permanent qui se transmet comme une crainte « sans objet »
puisque celui-ci n’a pas été nommé. Et l’on
tournera en dérision le comportement de celui qui fait appel à
une attitude consciencieuse pour calmer l’anxiété. Le
taxant de bizarrerie, on le traite avec sévérité,
brutalité parfois, car il est porteur à son insu d’un
non-dit. Certains de ses propos, déstabilisants par mégarde,
activent le soupçon en entretenant la crainte d’on ne sait
quelle révélation. Peur de perdre ses papiers, son
identité, la partie, une idée, une amie, la peur hante
parfois et un mot au hasard d’une conversation pointe une ancienne
terreur, chez soi, chez son interlocuteur, et soudain on se sent
traqué…
L’objet
sur lequel se projette la peur n’est pas toujours celui qui l’a
engendrée, mais celui qui re-déclenche une peur
précédente ou un trouble déréalisant.
Faisant écran, il la réveille tout en la dissimulant…
Sa résurgence se dit alors effrayante. Phobique, fuyant
l’objet qui l’excite, on tendrait d’une certaine manière
à fuir sa peur… Tant elle re-crée une béance
et la rappelle.
L’objet apparent permet de donner une représentation figurative plausible à une peur plus profonde dont l’objet premier a été oublié, car interdit, ridiculisé, ou simplement non dit car indicible. Il autorise l’idée (d’essayer) d’en faire accepter la réalité, par « l’autre ». Et, symbolisant un désarroi réel passé, aide à en authentifier l’intensité émotionnelle.
La
peur de toutes les peurs, la mère de toutes les peurs
résiderait dans une crainte originelle plus ou moins prononcée
chez chacun de nous. On peut imaginer qu’un enfant mal soutenu dans
les premiers mois, par une mère elle-même fragilisée
- qui n’aura pu qu’apporter des réponses mal adaptées
aux besoins les plus essentiels - sera (à son tour fragilisé)
plus craintif, et son propre enfant, (plus tard) agressé par
les peurs parentales - plus agressif.
La peur est difficile à appréhender quand l’indicible qui l’a produite dans le passé n’a pas été symbolisé. Est-ce pour cela qu’on aime à lui donner des représentations qui en confirment l’évanescente véracité et, derrière les apparences fantasmatiques, aident à la sublimer ? Ainsi les contes et les histoires fantastiques viennent meubler, avec notre consentement, notre quiétude de frissons. On lit Grimm, Perrault et Andersen, Poe et Maupassant, pour nourrir, calmer, divertir, justifier sa peur. Peut-être est-ce parce qu’elles n’entrent pas par effraction que les émotions qu’ils nous font (re) vivre ne nous font pas violence, mais nous donnent à penser, à réfléchir et de quoi dénouer certaines appréhensions, telle celle de l’avenir (sans sa mère) pour l’enfant… Catastrophe et frissons, transposés dans la fiction, nous permettent de transcender nos émotions : on s’autorise à se frotter à leur réalité.
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