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CHEMINS DE VIE
23 novembre 2011

REVER SUR LES REVES

(Par Roland Pec)

En 2009, le petit monde de la somnologie a fêté un jubilé. Celui qui commémore la découverte du sommeil paradoxal, réalisée en 1959 donc, par Michel Jouvet, à Lyon. Or, il existe un lien très étroit entre le paradoxal et le rêve. J’y ai naturellement vu une excellente occasion de procéder à un « State of the Art » du savoir onirique. Ce jubilé est par ailleurs quelque peu étrange. En effet, dans un dossier sur le sommeil daté de 2003, j’annonçais en fanfare les cinquante ans de la découverte du REM sleep, par Azerinsky et Kleitman, à Chicago. Or, sommeil REM et sommeil paradoxal, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ! L’unique différence tenait en vérité à l’angle d’approche du problème... Cette bataille d’egos nous vaut donc de fêter par deux fois le même anniversaire. Mais revenons-en aux rêves. En cette matière (comme en beaucoup d’autres d’ailleurs), la science montre rapidement ses limites. Et force est d’admettre que ce sont essentiellement des croyances, des théories, que je vais exposer ici. Même si certaines croyances sont un peu plus scientifiques que d’autres… 


                                           Petit panorama des théories sur le rêve à travers les âges
On peut affirmer sans trop s’avancer que le rêve intrigue l’homme depuis toujours. Les peintures rupestres en attestent. Elles montrent que l’homme de Crô Magnon, vieux de trente mille ans, s’intéressait déjà à ses rêves, et éprouvait le besoin de les raconter aux autres. De nombreuses scènes de chasse figurent, en effet, selon les paléontologues, davantage un rêve que des faits s’étant réellement produits.

Pour l’Ancien Testament (écrit, comme on le sait, il y a environ trois mille ans), les dormeurs (lorsqu’ils sont enfouis dans la « torpeur » - un sommeil très profond) voient et font alliance avec dieu. Directement. C’est le cas notamment pour Adam, Abraham, Judith, etc. Les rêveurs, quant à eux, n’ont pas le privilège de voir dieu, ils doivent se contenter de traiter avec ses messagers. Le premier rêveur à être cité dans la bible est Abimelekh - un roi philistin - qui, dans un rêve, se fait intimer l’ordre, par un ange, de renoncer à Sarah, la femme d’Abraham. Ordre qu’il suivra à la lettre (fort heureusement pour lui). Ensuite, il y a Jacob, avec sa célèbre échelle. Puis Joseph, le rêveur biblique n° 1, avec ses vaches et ses épis de blé. Le dernier de la liste est Eliphaz de Teman - un des trois amis de Job - qui fait un rêve dit « furtif ». Ainsi, le rêve biblique place l’homme dans le monde intermédiaire de l’armée des anges. En outre, le rêve s’avère être une prophétie. Par exemple, Nabuchodonosor - roi de Babylone - apprend sa chute future au travers d’un rêve mettant en scène un géant aux pieds d’argile (miroir de lui-même). Pour la bible, sommeil comme rêve constituent donc le temps de la rencontre entre l’homme et la transcendance ; canal unique de communication entre le dessus et le dessous. Moïse seul fait exception, puisqu’il a l’insigne honneur de voir dieu à l’état vigile. Mais sans doute était-il déjà lui-même un ange…

Pour l’hindouisme, Brahma a créé le monde dans son sommeil - au cours d’un rêve - couché sur un serpent. Et il en est exactement de même pour le dieu scandinave Ymir.

Chez les Grecs antiques, Oneiros (dieu des rêves) visitait le dormeur et lui transmettait un oracle. Un Grec ne faisait donc pas un rêve (comme on dit en français), n’avait pas un rêve (comme on dit en anglais), il voyait tout simplement Oneiros. Puis Morphée, fils d’Hypnos (dieu du sommeil), prenait successivement la forme des diverses personnes venant se montrer au dormeur au cours de ses rêves (tout en agitant sous son nez une fleur de pavot, propice aux hallucinations visuelles). Ainsi donc, comme dans la conception biblique, le dormeur reçoit de la visite, et le rêve est le récit de cette rencontre à domicile. Dans les textes homériques, les rêves sont pareillement conçus comme des oracles. S’ils passent par la porte de corne, ils sont vrais et laissent en nous - au réveil - la conviction qu’il faut en tenir compte. Si, par contre, ils passent par la porte d’ivoire, ils sont faux et il ne faut pas y prêter attention.

Au VIème siècle avant J.-C., apparaît l’Orphisme, un mouvement religieux qui introduit la notion de séparabilité du corps et de l’esprit. Le rêve devient à partir de ce moment l’âme du dormeur qui s’envole pendant son sommeil. Le rêve comme récit de voyage était né.

Pour la plupart des sociétés traditionnelles (les sociétés chamaniques de Sibérie et d’Océanie, par exemple), c’est toujours la même chose : l’âme du dormeur quitte l’enveloppe charnelle et s’en va rendre des visites. Cette âme part vers d’autres contrées, vers le monde des ancêtres, des morts, des dieux, des démons… Elle s’évade, part vagabonder, et le rêve raconte ce périple. Si le dormeur est malencontreusement réveillé à cet instant précis, l’âme risque d’errer à tout jamais ! D’où, par conséquent, les pratiques assez répandues d’occlusion de la bouche et des oreilles pendant le sommeil (pour retenir l’âme) ; ou encore l’interdiction de changer la position d’un dormeur, de peur que l’âme ne puisse pas reconnaître son logis au retour.

En somme, qu’il s’agisse de la conception biblique, de celle des sociétés antiques ou de celle des sociétés traditionnelles (ou encore de celle de l’énorme contingent de personnes superstitieuses vivant dans notre propre société), le monde invisible d’où proviennent les rêves est surnaturel et extérieur au dormeur. Soit ce dernier reçoit une visite, soit il en rend une. Et ces rêves ont pour fonction d’annoncer l’avenir. Il est intéressant de constater que pour le modèle scientifique, aujourd’hui prégnant en Occident, c’est exactement l’inverse ! En effet, selon ce modèle, le monde invisible - et fort naturel - qui expédie les rêves, est logé à l’intérieur de nous-mêmes (c’est « l’inconscient » pour la psychanalyse ou « le cerveau » pour la neurobiologie). Et si d’aventure le rêve renseigne sur quelque chose, c’est forcément sur le passé.

Il existe de par le monde des populations qui vivent littéralement pour rêver. On les appelle les « dream cultures ». Les Senoïs de Malaisie, une peuplade d’une vingtaine de milliers d’aborigènes (disparue dans les années septante, du fait de la déforestation), fut probablement la plus étudiée d’entre elles (par Patricia Garfield notamment). Les Senoïs apprenaient à se souvenir de leurs rêves et à favoriser les rêves lucides - des rêves dans lesquels le sujet sait qu’il rêve, et qu’il peut orienter à sa guise (affronter et vaincre, recevoir des cadeaux, se faire guider, prendre du plaisir…). Une journée-type d’un Sénoï était littéralement structurée par les rêves. Le matin on racontait les rêves en famille, l’après-midi en groupe (en présence de l’homme-médecine) et le reste de la journée était consacré à leur interprétation et aux actions qui en découlent. Ce peuple a fortement questionné les scientifiques, car il se démarquait par une absence de névrose, de psychose, de criminalité et de volonté guerrière.

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