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CHEMINS DE VIE
25 juin 2012

L’eau, les mythes et le sacré (2)

Dans l’hindouisme, les fleuves sont des entités sacrées (il y a sept fleuves sacrés). Le Gange, par exemple, est un grand fleuve qui prend sa source dans l’Himalaya puis coule sur près de 3 000 km avant d’atteindre la baie du Bengale dans son delta commun au Brahmapoutre à Calcutta. Le fleuve n’est pas, en Inde, connu pour sa géographie mais pour les rites qui lui sont liés : des pratiques religieuses consacrées par des usages très longs, comme la dispersion des cendres des morts. Les morts sont brûlés, souvent mal brûlés car le bois coûte cher, et jetés au Gange : il n’y a pas de cimetière hindou. Les bords du fleuve sont aménagés pour ces rites, car les cendres dans l’eau appartiennent au cycle de la réincarnation. De toute l’Inde on vient mourir sur les rives du Gange, surtout à Bénarès. Des marches d’escaliers ont été créées avec des bûchers funéraires, alors qu’à quelques pas d’autres hindous se lavent, nagent ou lavent leur vaisselle.

Ces rites s’expliquent par une série de mythes. Dans le Mahâbhârata, épopée indienne rédigée entre mil avant J.C. et le VIe siècle de notre ère, le Gange est un élément fondamental de la Trinité hindoue regroupant Brahmâ, Vishnou et Shiva. Dans le poème, Vishnou est le Gange et Shiva la Jamna, affluent sacré du Gange.

A la confluence de ces deux gigantesques cours d’eau émerge une rivière souterraine, qui est une des formes de Brahmâ et que seuls les ascètes peuvent voir. Le Gange est un archétype qui est reproduit comme l’indiquent les nombreux noms de fleuves qui portent en eux le mot "Ganga". En effet, le Gange est un très grand fleuve certes, mais qui a la particularité de couler dans la région berceau de la religion hindouiste, aussi en a-t-il inspiré en partie les mythes.

De plus, le Gange est considéré comme un fleuve parfait car il passe par les montagnes, les plaines et se termine à l’océan. Il fait partie d’un cycle, car l’océan est le symbole de l’unité, l’endroit où tout va ou retourne.

Pour les Chinois de la Chine antique, tout sort du grand unificateur, mais pas d’un fleuve ou d’une source sacrée, car l’idée de sacré n’existe pas en tant que telle dans la mythologie. Il n’y a pas non plus de rites particuliers liés à l’eau, car dès l’origine il y a des croyances et non une religion codifiée. Il y a des ressemblances entre l’Occident et l’Inde dans leur relation à l’eau car ils sont issus de la même civilisation indo-européenne.

On peut y joindre le zoroastrisme, vers 1200 av. J.C., qui repose sur le culte du feu, de la pureté de l’eau, du décharnement des cadavres. Dans les anciennes mythologies chinoises qui précèdent les taoïstes et avant le confucianisme et le bouddhisme, la description du monde est faite à partir d’éléments : l’eau, la terre, le feu, le métal, le bois. Il y a une dualité entre l’eau et le feu qui est le fonctionnement de base de la pensée chinoise.

L’eau est l’un des éléments constitutifs du Yin et du Yang. Ce n’est pas l’eau elle -même qui est Yin mais l’humide symbolisé par les grottes, les marais, la femme ou la lune. L’un et l’autre, le Yin et le Yang, sont tellement imbriqués qu’on ne peut pas les séparer. C’est le principe de base de la culture chinoise : le monde provient d’un grand tout indifférencié qu’on ne peut pas définir, le chaos originel.

L’humanité est ainsi le produit du cosmos et non de dieux. Le monde provient d’un grand tout indifférencié qu’on ne peut pas définir. La cascade que l’on retrouve dans de nombreuses estampes chinoises n’est pas un symbole : l’eau en tant que principe, sous quelques formes que ce soient, entre dans le paysage.

Le mot paysage en chinois (shan shui) se traduit par montagne et eau. Le paysage est ainsi un mélange d’eau et de terre. Quand arrive la cascade dans la peinture chinoise, elle est constitutive du paysage mais c’est tout. Souvent sur ces mêmes peintures on retrouve un nuage dans la lumière qui représente le vide originel ou le cosmos, dans c’est de l’eau mais sous sa forme gazeuse.

Tous les rites chinois actuels sont en fait postérieurs : ils ont été introduits par le bouddhisme, le christianisme ou l’islam. Il faut dissocier l’eau du sacré en Chine comme le prouve la volonté de réguler les fleuves depuis le début de la civilisation chinoise.

Cette volonté d’aménagement relève davantage du pragmatisme que d’une vision sacrée, car les fleuves gênent : ils n’ont pas assez d’eau en hiver et débordent en été. Pour les Chinois le problème est d’avoir de l’eau pour l’électricité ou l’irrigation, comme l’indique la construction démesurée du barrage des Trois Gorges, et peu importe les conséquences environnementales. Cette dissociation du sacré et de l’eau se retrouve au Japon.

 

En conclusion, on peut opposer deux visions différentes de la conception de la nature qui dicte le rapport à l’eau : une vision asiatique dans laquelle l’eau est un élément matériel parmi d’autres et la civilisation indo-européenne dans laquelle l’eau a depuis les premiers temps joué un rôle sacré et conduit de nombreux rites car l’eau y est depuis toujours un bien rare et indispensable à la vie. Mais avec la banalisation de son accès, elle perd son côté sacré : l’eau du robinet est fonctionnelle mais elle n’est plus sacrée. Ce rapport changeant à l’eau prouve-t-il que le sacré est le passé ? Mais, après tout est-ce vraiment un problème, le passé est-il si sacré ?

 

Compte rendu : Alexandra Monot

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