ACCEPTER DE PRENDRE DES RISQUES (1)
(un article de France Guillain)
Trop
de sécurité rend stupide. Vivre pleinement c'est
accepter de prendre des risques et de renoncer aux fausses sécurités
de la vie moderne.
Dans
notre cerveau, comme chez tous les êtres vivants, il existe ce
que nous avons longtemps appelé la « zone de la
récompense ». Aujourd'hui, les neurosciences
nomment ce noyau accumbens,ou
plus communément NAc. C'est un ensemble de neurones et de
matière blanche intelligente qui assure à tout moment
notre survie en nous envoyant des signaux de plaisir, de déplaisir
ou de douleur. Si le NAc ne fonctionne plus, nous n'avons plus ni
plaisir, ni douleur, nous ne sentons rien si on nous coupe la main.
Or,
il ressort que plus ce noyau du cerveau est obligé de
travailler, plus notre intelligence est vive. Inversement, moins il
est sollicité et moins l'intelligence est vive. L'expérience
montre qu'une poule d'élevage dont la survie est assurée
par un enclos, la protection contre les prédateurs, la
nourriture abondante, un abri contre les intempéries, une
poule en totale sécurité qui ne fait plus travailler
son Nac devient stupide. Placée dans un filet de foot avec de
la nourriture de l'autre côté, elle passera la journée
à courir d'un bord à l'autre du filet sans jamais avoir
l'idée de le contourner pour aller chercher le grain. Elle
n'aura pas l'audace de franchir les limites de ce qui est pour elle
la barrière que l'on doit respecter. Une poule sauvage et même
un poussin sauvage contourneront immédiatement le filet.
Les
peurs qui nous emprisonnent
Il en va très exactement de même avec les humains. Peu d'êtres humains arrident à sortir spontanément des limites que leur éducation leur a imposées. La surabondance de sécurités matérielles, la perte de vigilance alimentaire (on compte sur le ministère de la Santé), contre les intempéries, dans les déplacements, après avoir facilité la vie et permis de développer la pensée aboutit, par excès, à l'effet inverse.
A force de s'assurer contre tout, on n'est plus jamais responsable de rien et surtout pas de soi.
La
maladie est regardée comme une menace venue de l'extérieur.
De toutes parts on fuit la responsabilité et joue sur les mots
tel le « responsable mais pas coupable » d'une
ministre dans l'affaire du sang contaminé. Tout excès
est préjudiciable. A force de ne plus penser qu'à la
sécurité, ce qui au départ devait nous rendre
plus humains, aboutit à nous déshumaniser, ce n'est
jamais de notre faute, nous en perdons le coeur, l'intelligence même,
la raison, nous passons à côté du bonheur.
Lorsqu'en 1967, époque bénie des trente glorieuses où personne ne pouvait manquer de travail, je m'apprêtais à traverser l'Atlantique avec un bébé de vingt jours sur un voilier de neuf mètres sans électricité, sans eau courante, sans même de téléphone ou de radio pour communiquer avec la terre, nous cherchions un équipier pour un mois. Juste un mois. Il nous semblait évident que tous les jeunes de notre âge seraient fascinés, ravis de faire une telle traversée vers les Antilles. En effet la fascination était là, très grande. Nous nous sommes adressés essentiellement à des jeunes qui étaient libres. Les réponses furent : « J'en rêve ! C'est extraordinaire ! Mais il y a ma copine, ma mère, ma voiture, ma moto, ma grand-mère, le chat, le chien... » Partir sur les mers pour un petit mois de traversée était le bout du monde, le fameux « filet impossible à contourner ».
Or,
de récentes études en psychologie montrent que les
regrets qui nous minent, ceux qui peuvent nous faire le plus de mal,
ceux qui entament l'estime de soi et peuvent nous faire glisser vers
la déprime et avec elle la maladie, ce sont les regrets, non
pas des bêtises que nous avons faites, mais les regrets de ce
que nous n'avons pas osé.
La
jeunesse ça s'acquiert
Seuls
ceux qui sont assez fous pour croire qu'ils peuvent changer le monde
y parviennent et gardent toute leur vie la puissance, la force, la
passion de vivre, la vraie jeunesse. Dans Le Tiers
instruit, le philosophe, homme
de sciences et académicien Michel Serres explique que nous
naissons vieux et que la jeunesse se conquiert et s'acquiert. Il
explique que pour évoluer nous devons traverser la rivière.
Que jusqu'au milieu nous pouvons toujours faire demi-tour, revenir en
arrière, mais une fois franchie la moitié du parcours,
nous ne pouvons plus faire autrement que d'avancer vers l'inconnu,
atteindre l'autre rive. Avec le risque de mourir, de ne plus être
reconnus par les nôtres, le risque même d'être
rejetés car nous avons changé, évolué.
C'est pourtant la seule façon de grandir, d'ouvrir
l'intelligence et le coeur d'un homme, d'un peuple, de l'humanité.
(...)