RESTAURER SON ESTIME DE SOI (1)
(Par Karin Reuter et Michel Savage)
Certaines
expressions ont une destinée bien curieuse. Ainsi, dire de
quelqu’un qu’il a de l’amour « propre » est souvent
perçu comme si cet amour à son égard était
quelque chose de malsain ou d’égoïste, pour ne pas dire
sale. Voilà bien un exemple du détournement opéré
par une culture qui assimile l’amour au respect ou à
l’attention bienveillante portée à l’autre, jamais
à soi-même. Comme si on pouvait séparer les deux.
Cette scission entre nous et les autres est lourde de malentendus et
de préjugés pas toujours conscients : ils ont beaucoup
à voir avec la perte d’estime de soi. Et d’abord, de qui
parle-t-on quand on parle de confiance en soi ou d’estime de soi ?
C’est la réponse à cette question qui va nous donner
la clé pour restaurer notre amour propre… au sens noble du
terme.
Evoquer
la confiance en soi revient à parler de notre identité,
ce à quoi on s’identifie. A y bien regarder, combien ne se
prennent pas pour ce qu’ils pensent, ressentent ou font ?
C’est
en tout cas ce à quoi nous donnons notre confiance. Si on nous
demande de soutenir d’autres idées, d’autres valeurs ou de
changer d’occupations, la plupart diront « Mais je me
reconnais pas là dedans, ce n’est pas moi, ça ! »
«
Ca », c’est précisément l’identité
qu’on s’est construite avec ses différentes couches, ce
que beaucoup appellent aussi leur caractère, et qui semble
immuable. Pourtant, la plupart des gens reconnaissent par ailleurs
qu’ils ont « construit » leur personnalité,
qu’ils se sont « forgés » un caractère,
ou au contraire que la vie ou leurs parents les ont « cassés
», qu’un ressort en eux s’est « brisé »
suite à un divorce ou une épreuve. Autant de façons
de dire que notre identité ne tombe pas du ciel : elle se
construit dans le temps, avec une histoire et des projets d’avenir.
Si
l’ensemble de nos habitudes de comportement et de pensée
nous aident à vivre, on va pouvoir s’appuyer dessus, y
croire et donc y puiser notre confiance ; si au contraire, ce qui
nous a peut-être servi de moyen de survie à une époque
dans notre enfance ou notre histoire nous dessert aujourd’hui, on
risque de perdre cette confiance, de se dévaloriser et de
perdre son estime.
Voilà bien le hic : ce qui nous sert un jour nous dessert le lendemain. Et ce qui nous permet de nous identifier est le plus souvent ce qui nous différencie des autres. Pourquoi mettrions-nous tant d’acharnement à montrer que nous sommes de tel sexe, telle nationalité, telle région, tel métier, tel milieu économique ou social, au point de revendiquer parfois notre misère, si cette appartenance n’était pas constamment menacée ?
Le
personnage que l’on s’est construit est quelque chose de bien
fragile : ici, il va récolter des louanges, là-bas, du
mépris et de la haine ; dans tel milieu, il va être
choyé, admiré, dans tel autre, bafoué ou ignoré.
Comment faire confiance à un personnage figé, une image
de nous-mêmes incapable de s’adapter aux circonstances parce
que cela reviendrait à se désavouer, constater sa
propre faillite ? Si on ne puise pas sa confiance et son estime à
une autre source, à l’abri des blessures et des coups de la
vie, on risque bien vite d’être à la merci des
circonstances, heureuses ou malheureuses. Où trouver cette
source ?
Les
légendes et les traditions du monde entier nous parlent d’un
mystérieux trésor caché en nous. Le succès
de librairie énorme de « L’alchimiste »,
relatant l’histoire d’un homme qui part au bout du monde avant de
découvrir à son retour un trésor dans son
jardin, en est une splendide illustration.
Les religions nous parlent d’un au-delà, d’un paradis ou d’un nirvana qui est devenu le séjour des morts, et non le royaume des cieux au cœur de chacun de nous. L’au-delà dont il est question est pourtant l’au-delà de nos pensées, de nos émotions et de nos actes : c’est le ciel de notre conscience. Ce n’est pas par hasard qu’en hébreu, le mot « âme » a la même valeur numérique que le mot « ciel ». Pour peu que l’on prenne un tout petit peu de recul ou de hauteur par rapport à notre personnage, on s’aperçoit bien vite qu’il n’a pas d’autre réalité que celle qu’on lui donne. Si on n’y croit plus, il ne reste plus rien. Nous y voilà.
(...)