L'ETERNITE EST MAINTENANT OU JAMAIS (1)
(Par
Karin Reuter et Michel Savage)
Le
manque de temps est devenu pour beaucoup d’entre nous une plainte
récurrente. La concurrence se durcit, le rythme des
innovations s’accélère, les réformes se
multiplient et les délais se réduisent un peu partout.
Entre les contraintes de la vie professionnelle et de la vie privée,
l’étau se resserre.
Tous
les livres et les séminaires de gestion du temps ont beau nous
rappeler de prendre du recul, de planifier nos activités,
d’organiser notre espace, de revoir nos priorités ou même
de nous simplifier l’existence, il est bien difficile d’échapper
à cette course contre la montre qui grignote insidieusement
notre qualité de vie. Comme si cela ne suffisait pas, avant
même d’être occupés par quoi que ce soit, nous
sommes déjà pré-occupés !
Pas
étonnant que, au bout du compte, nous soyons accablés
par la fatigue, le stress, l’épuisement, la frustration, la
maladie. Le paradoxe cruel, dans cette affaire, est que plus nous
courons, moins nous avons de temps ! Si nous voulons avoir la moindre
chance de mettre un frein à cette course infernale, il faut
bien commencer par nous demander après quoi nous courons
exactement et pourquoi. Un petit détour par la mythologie peut
s’avérer instructif. Les mythes parlent de nous et de notre
histoire. Voyons plutôt.
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Le mythe de Tantale (Jamais) : « Jamais tu n’obtiendras ce
que tu souhaites le plus - être aimé, réussir,
... « Jamais tu ne termineras ce que tu as entrepris »
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Le mythe d’Arachné (Toujours) : « Achève
toujours ce que tu as entamé. Tu as fait ton lit, maintenant
couche-toi dedans. Tel tu te couches, tel tu mourras. Tu as eu ce que
tu voulais. Si c’est cela que tu veux, fais-le jusqu’à la
fin de tes jours. »
-
Le mythe de Damoclès (Après) : « Après le
soleil vient la pluie. Ne te réjouis pas trop vite : tu
payeras ta chance tôt ou tard. Tu ne t’en tireras pas à
si bon compte, attends-toi à être déçu. »
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Le mythe d’Hercule (Tant que) : « Tant que tu n’auras pas
payé le prix, tu n’auras pas ta récompense. Termine
ton travail avant de te reposer. Tu ne peux pas connaître la
joie avant d’avoir assez souffert. Tu peux toujours attendre… »
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Le mythe de Sisyphe (Sans cesse) : « La pierre retombe sans
cesse, alors que j’y étais presque. Si je ne suis pas vaincu
(ou si je ne me fais pas avoir) une fois de plus, peut-être que
j’y arriverai enfin. »
- Le mythe de Philémon et Baucis (Sans conclusion) : « On verra bien ce qui arrivera : je n’ai pas fait de plans pour la suite. Je me débrouillerai d’une façon ou d’une autre. »>
Voilà
donc un échantillon de six mythes, six rapports différents
au temps, six scénarios de vie ou plutôt de survie. A y
bien regarder, le héros y est partout sauf là où
il devrait être : maintenant. Il est ailleurs, hors du flux
mouvant et intemporel de l’instant. Il n’est pas présent
et passe à côté de lui-même. Autant dire à
côté de la vie.
Son
attention reste figée sur quelque chose qui n’est plus là
ou n’y est pas encore. Pour cause : il est absent ! Et voilà
après quoi il court : lui-même. C’est une course sans
espoir, un combat perdu d’avance : il se cherche partout sauf là
où il est. C’est le mélodrame de tant d’êtres
humains, condamnés à errer sans jamais se trouver. Le
terme « mythe » lui-même dit bien ce qu’il veut
dire : il désigne une chimère, une illusion, une vaine
promesse. L’illusion est de croire que le temps va nous donner ce
que nous attendons.
Tout comme l’âne de Buridan tentant d’attraper la carotte qui pend au bâton attaché à son propre dos, nous cherchons partout sauf au bon endroit : en nous. C’est ainsi que l’illusion du temps vient compenser la perte de notre pouvoir créateur. A défaut de reconnaître que nous sommes source de notre réalité, nous finissons par projeter la réalité en dehors de nous et à poursuivre des ombres, l’ombre de nous-même. A ce jeu là, nous ne pouvons que perdre.
(...)