CADEAUX DE NOEL
Ou "à la recherche du sens perdu" par France GUILLAIN)
Quand
le cadeau n'était pas marchant mais un acte d'amour ou de
fraternité. Quand le cadeau était porteur de lien
social, quand il avait encore un sens.
En
ces temps de fêtes commerciales qui vous annoncent Noël
trois mois à l'avance, vous offre de montagnes de galettes des
rois un mois avant et un mois après l'Epiphanie, le rituel, la
cérémonie, la culture même se trouvent écrasés,
anéantis, ôtant toute signification à des actes
qui ont cependant sorti l'être humain de l'animalité
végétative, ont imposé l'échange de la
pensée, de l'intention, du dialogue, de la philosophie.
Un
sapin éphémère
Il
n'est pas nécessaire de remonter très loin pour le
comprendre. Il y a à peine cinquante ans, en France, dans bien
des familles, le sapin de Noël n'existait chaque année
que durant quelques heures, la nuit de Noël. A dix heures du
soir, lorsque la famille réunie se rendait à la messe
de minuit, il n'y aait pas de sapin dans la maison. Les parents
expliquaient aux enfants que s'ils avaient été bien
sages, le Père Noël passerait pendant la messe.
Au retour, après minuit, c'était l'éblouissement : le sapin illuminé de boules et d'étoiles dorées ou argentées faites de papier récupéré autour des tablettes de chocolat, éclairé de vraies bougies si dangereuses, trônait au milieu du salon, avec, à ses pieds, la crèche et les cadeaux.
Les destinataires des cadeaux ne pouvaient pas, en principe, identifier leurs acheteurs et il eût été grossier, déplacé, vulgaire, de s'informer de leur valeur marchande, de les échanger dans un magasin.
Bien
des cadeaux étaient d'ailleurs confectionnés par leur
donateur, ce qui évitait une concurrence économique
désastreuse. Le cadeau, anonyme, était chargé
d'amour, de compréhension, d'analyse des besoins et des goûts
de son destinataire, et si chacun avait eu le droit de rêver
tout haut, de formuler des voeux, d'écrire même au Père
Noël, il était exclu que les cadeaux soient le résultat
d'un simple commande. Le réceptionnaire de l'offrande recevait
de l'amour venu de partout et de nulle part, pouvait embrasser tous
ceux qui étaient autour de lui s'il était assez grand
pour comprendre que rien n'était tombé du ciel, ou pour
manifester sa joie.
Puis tout le monde allait se coucher et le lendemain matin au réveil, l'arbre avait disparu, il ne restait que la crèche pour ceux qui étaient croyants, attendant que les Rois Mages s'y installent le jour de l'Epiphanie.
Essayez
d'imaginer l'intensité du désir, du rêve qui
entouraient l'apparition éphémère du sapin !
L'extase de quelques heures en pleine nuit. Il fallait des semaines
pour s'assurer qu'on n'avait pas rêvé, que les cadeaux,
eux, étaient bien vrais, ils étaient toujours là
!
Ce
n'est pas la durée du sapin qui faisait sa valeur, c'était
l'intensité de la vision. Le sapin ne peuplait pas les rues et
les boulevards pendant des mois, banalisant la fête au point
d'en arriver aux enfants qui aujourd'hui commandent ferment dès
l'âge de trois ans leurs cadeaux, les choisissent dans les
magasins et sont parfois déçus ou en colère
lorsque la commande n'a pas été exécutée
! On en arrive même à donner de l'argent à
l'enfant ou à l'ado pour qu'il s'offre son cadeau tout seul !
C'est vraiment la perte totale du rituel. Si cela ne vous choque pas,
lisez plutôt.
Anonyme
et bon marché
Lorsque je suis arrivée aux Philipinnes à la voile en 1979, je me suis installée pour un an dans une île nommée Mindoro, dans le village de Puerta Galera. Je succédais à un couple de Français dans une maison philippine à étage, construite de parpaings, de bambou, denêtres à carreaux de nacre et toit de feuilles de pandanus tressées.
J'avais trouvé une énorme serrure à la porte, les fenêtres de bois du rez-de-chaussée étaient clouées, maintenant l'obscurité. Le jardin était clôturé d'une barrière rigide. Le couple m'avait dit : » fais très attention, les Philippins sont gentils comme ça, mais ce sont des voleurs ». A cela je ne croyais pas du tout dans cette île. C'est pourquoi dès le premier jour, j'offris une journée de travail à un pêcheur qui ôta les clôtures, décloua les fenêtres, me démonta la serrure dont je lui fis cadeau. Je précise que ce monsieur ne travailla pour moi qu'une journée en un an. J'installai donc mes affaires dont un magnétophone, un réchaud à gaz, un poste de radio, toutes choses d'une gande valeur dans cette île à cette époque. Et je partis au marché avec mes enfants.
A mon retour, j'ai trouvé sur la grande table de la cuisine une assiette avec des mets tout chauds, enveloppée dans une feuille de bananier. Le plat avait dû être déposé par la fenêtre ouverte.
Nous
nous sommes régalés. J'ai lavé le plat et l'ai
déposé à l'endroit même où je
l'avais trouvé. Et lors d'une de mes promenades suivantes, une
main inconnue le récupéra.
Je
ne saurais jamais qui nous a fait ce cadeau. Je ne saurai jamais quia
eu la gentillesse, la bonté, la générosité,
les moyens aussi dans ce pays pauvre de me faire ce cadeau. Ce qui
m'a obligée à remercier tout le village de cinquante
mille habitants pendant un an ! Ces remerciements ne sont font pas de
la manière primaire, vulgaire, du style « merci
beaucoup pour ce plat » ! ce serait répétitif
et lassant. C'et bien plus subtil. C'est plus exactement un bonheur
exprimé, une sorte de reconnaissance active d'être
accueilli par un pays qui n'est pas le vôtre, qui a été
façonné durant des siècles par des gens qui ont
le sens du partage. Ce cadeau anonyme est fait bien sûr au nom
de la communauté, la joie retombe également sur tous.
Pour moi, tout cela était naturel, c'et exactement ce qui se passait en Polynésie lorsque j'étais enfant. Là aussi, cela s'est évanoui avec ce que l'on nomme indûment civilisation.
Dans
ce genre de cadeau, le plaisir est immense pour qui donne comme pour
qui reçoit, le donateur inconnu nous obligeant à
regarder tout le monde, riche ou pauvre à égalité,
nous obligeant à voir ce qui est bien dans chaque être
humain. C'est en cela que le rituel du cadeau de fête a de la
valeur à mes yeux et en cela seulement.
La
fête de Noël étant chez nous le dernier bastion
offrant cette possibilité d'anonymat. Il faut arrêter de
faire de Noël les grosses commandes de l'année !
Préserver une journée de vrai cadeau, celui que l'on
fabrique, celui que l'on choisit avec amour, avec passion, qui nous
représente et représente les désirs de l'autre
et ne coûte pas nécessairement cher !
Arrêter de tuer le désir chez les enfants, de parler du prix des jouets, de comparer combien a dépensé la grand-mère, la marraine ou la tante, comme pour les mettre en concurrence, comme si leur amour se mesurait en euros.
Car
le cadeau est un rituel qui existe depuis toujours, même dans
le règne animal. N'avez-vous jamais vu comment certains
oiseaux se courtisent ? Un mâle qui offre une brindille à
une femelle (dans le style : je vais t'aider à construire un
nid ou je t'invite dans le mien ?) ou une graine : si tu manges ce
que je te donne, tu n'as pas peur que je t'empoisonne et ton corps
sera nourri de la même manière que le mien, nous serons
plus proches. Nous sommes aussi comme les oiseaux ! Et les oiseaux
nous relient au ciel ! Ils volent !
Noël marque la fête du solstice d'hiver, le moment où la lumière revient puisque les jours s'allongent